*Voix du mari par la fenêtre*
Je te dis, donnez-moi du Lard.
Donnez-moi du lard, je te dis, donnez-moi du Lard.
QUATRE TÉNORS & QUATRE BARYTONS
*dans la fosse d’orchestre*
Olé !
Donne-moi du lard, je te dis.
*épouvanté, jette les fleurs dans la salle*
Ah mais ! ce n’est pas Thérèse, ma femme.
Quel malotru a mis ses vêtements ?
Aucun doute, c’est un assassin et il l’a tuée.
*Il se met à courir comme un fou, la cherchant au café,
au bar, au bazar. Thérèse se promène d’un air
parfaitement indifférent.*
Thérèse, Thérèse, Thérèse, ma p’tite Thérèse, où es-tu ?
Où es-tu ? Où es-tu ? Où es-tu ?
Thérèse, Thérèse, Thérèse, ma p’tite Thérèse,
Où es-tu ? Où es-tu ?
Mais toi, vil personnage
Qui t’es déguisé en Thérèse, je te tuerai.
*Il se précipite sur elle. D’un geste, elle l’arrête.*
Par exemple !
Par exemple !
C’est trop fort.
Détail que j’ignorais.
Le Mari tombe à genoux au milieu de la scène, les mains jointes.
Adousias !
Un pot de chambre tombe par la fenêtre, puis un urinal.
*parlé*
Le piano !...
Le violon !...
La situation devient grave.
*Il rentre chez lui, les épaules basses.*
La danse cesse.
Monsieur Presto, je n’ai rien gagné,
Rien gagné, rien gagné,
Et d’abord Zanzibar, Zanzibar n’est pas en question.
Vous êtes à Paris
À Paris.
Presto prend Lacouf par le cou avec une tendresse d’ivrogne.
*se dégageant, mais très aimable*
Tant pis, vous ai-je demandé de la réclame ?
Vous êtes à Paris.
*à peine convaincu*
Monsieur Presto, il faut nous battre.
*ferme aussi*
Monsieur Presto
Il faut nous battre.
Il le faut, il le faut.
Ils dansent en chantant, chacun de son côté.
Monsieur Presto, je n’ai rien gagné,
Rien gagné, rien gagné,
Et d’abord Zanzibar,
Zanzibar n’est pas en question,
Vous êtes à Paris.
À Paris.
Ils cessent de danser, et discutent courtoisement.
Tant pis, vous ai-je demandé de la réclame ?
Vous êtes à Paris.
Monsieur Presto, il faut nous battre.
Monsieur Presto
Il faut nous battre.
Ils montent gravement au fond de la scène, sortent de leurs poches deux gros revolvers.
Il le faut. Il le faut.
À armes égales,
Tous les coups sont dans la nature.
*Ils se visent.*
Feu !
*Ils tirent et tombent morts.*
Monsieur Lacouf n’a rien gagné,
Puisque la scène se passe à Zanzibar,
Autant que la Seine passe à Paris,
Autant que la Seine passe à Paris.
Comme il perdait au zanzibar,
Monsieur Presto a perdu son pari,
Puisque nous sommes à Paris,
Puisque nous sommes à Paris.
*Huit dames sortent du bazar, lisant leur journal,
tandis que les hommes mettent le leur dans leur poche.*
Monsieur Lacouf n’a rien gagné,
Puisque la scène se passe à Zanzibar.
Autant que la Seine passe à Paris.
*Elles remettent le journal dans leur panier à provisions.*
Autant que la Seine passe à Paris.
Comme il perdait au zanzibar,
Monsieur Presto a perdu son pari.
Puisque nous sommes à Paris,
Puisque nous sommes à Paris.
*bouche fermée*
Mm, mm, mm,
Mm, mm, mm
Mm, mm, mm
Mm, mm, mm.
*lamentablement mais à cause de lui-même*
Comme il perdait au zanzibar,
Monsieur Presto a perdu son pari,
Puisque nous sommes à Paris.
Ah ah ah ah
Ah ah ah ah
Ah ah.
*il pleure, dominant tout le monde*
Ah !
Ah ah
Ah ah !
Monsieur Lacouf.
N’a rien gagné
Puisque la scène se passe à Zanzibar
Autant que la Seine passe à Paris,
Autant que la Seine passe à Paris,
À Paris, à Paris...
À Paris...
À Paris.
Les ténors chargent Presto sur leurs épaules. Les barytons font de même pour Lacouf. En allant jeter un coup d’œil sur les cadavres, les femmes se divisent en deux groupes et suivent, les unes Presto qu’on emporte par la gauche, les autres Lacouf qu’on emporte par la droite, tandis que Thérèse redescend sur le devant de la scène et se promène très calmement.
*pendant que le Gendarme inspecte l’intérieur
du café, du bar, du bazar*
Ah ! puisque enfin voici un agent de l’autorité zanzibarienne,
Je vais l’interpeller, je vais l’interpeller.
Eh monsieur, si c’est une affaire que vous me cherchez,
Ayez donc l’obligeance de prendre
Mon livret militaire dans ma poche gauche.
Le Gendarme aperçoit le Mari, habillé en femme.
*à part*
Il me prend pour une demoiselle.
*S’esclaffant*
Ah ah ah ah ah ah
Il me prend pour une demoiselle.
Ce gendarme est un vieux fou, coucou,
*Il lui tourne le dos.*
Coucou
Coucou, coucou, coucou.
Le Gendarme frise sa moustache.
Il me prend pour une demoiselle.
*Le Gendarme veut lui prendre la taille.*
Il me prend pour une demoiselle.
Si c’est un mariage que vous cherchez...
Commencez donc, commencez donc
Par me détacher.
Si c’est un mariage que vous cherchez...
Commencez donc, commencez donc
Par me détacher.
*il éternue*
Atchou !
Atchi, atchi, atchi
*Il relève sa jupe qui le gêne.
Le Gendarme cligne de l’œil.*
Ma foi, il a raison.
Ma foi, il a raison
Puisque ma femme est homme,
Il est juste que je sois femme.
Le Gendarme veut embrasser le Mari. Le Mari se dérobe.
*au Gendarme, pudiquement*
Je suis une honnête femme, monsieur ;
Ma femme est un homme-madame.
Elle est soldat, télégraphiste, ministre, merdecin,
Mais, comme ils ont fait explosion, disons plutôt merdecine.
*dans les coulisses*
Vive le général Tirésias !
Vive le député Tirésias !
Plus d’enfants, plus d’enfants, plus d’enfants.
*accepte la pipe*
Et cependant la boulangère
Tous les sept ans change de peau.
Ils dansent chacun à un bout de la scène.
Tous les sept ans, elle exagère.
Eh ! Fumez la pipe bergère !
Et cependant la boulangère.
Atchou, atchou !
Le Mari se fâche et d’un geste brusque se débarrasse de ses oripeaux féminins.
Mais ne voyez-vous pas que je suis un homme.
Vous feriez mieux de faire des enfants.
*dans les coulisses*
Vive le général Tirésias ! Vive le député Tirésias.
*Le Peuple de Zanzibar fait irruption par toutes les entrées.*
Plus d’enfants ! Plus d’enfants ! Plus d’enfants.
*au gendarme*
Fameux représentant de toute autorité,
Vous l’entendez, c’est dit, je crois avec clarté.
La femme à Zanzibar veut des droits politiques
Et renonce soudain aux amours prolifiques.
Vous l’entendez crier : "Plus d’enfants, plus d’enfants."
Pour peupler Zanzibar, il suffit d’éléphants,
De singes, de serpents, de moustiques, d’autruches,
Et stérile comme est l’habitante des ruches,
Qui du moins fait la cire et butine le miel,
La femme n’est qu’un neutre à la face du ciel.
Et moi je vous le dis, cher monsieur le Gendarme...
*La Marchande de journaux apparaît à la fenêtre
du kiosque. Elle écoute passionnément.*
... Zanzibar a besoin d’enfants.
Donnez l’alarme, criez au carrefour et sur le boulevard
Qu’il faut refaire des enfants à Zanzibar.
La femme n’en fait plus, tant pis,
Que l’homme en fasse,
Mais oui, parfaitement.
Je vous regarde en face
Et j’en ferai
Moi !
Vous ?
Bien digne qu’on l’entende
Ailleurs qu’à Zanzibar,
Un bobard,
Un bobard,
Un bobard,
Un bobard.
Elle sort un bobard,
Elle sort un bobard,
Bien digne qu’on l’entende
Ailleurs qu’à Zanzibar.
La Marchande s’avance au trou du souffleur et embouche son mégaphone. Le Mari entre dans le bazar.
Elle reporte son mégaphone au pied du kiosque.
Vous qui pleurez en voyant la pièce,
Souhaitez les enfants vainqueurs.
Voyez l’impondérable ardeur
Naître du changement de sexe.
Le Mari ressort du bazar chargé d’énormes paquets qu’il dépose sur la table du café.
Vous qui pleurez...
Vous qui pleurez...
Vous qui pleurez...
Vous qui pleurez, vous qui pleurez
*Le Mari retourne au bazar.*
Vous qui pleurez en voyant la pièce,
Souhaitez les enfants vainqueurs,
Voyez l’impondérable ardeur...
Le Mari ressort du bazar chargé de paquets qu’il dépose sur les chaises du café.
... Naître du changement de sexe.
Vous qui pleurez...
Vous qui pleurez...
Vous qui pleurez...
*au gendarme*
Revenez dès ce soir
Voir comment la nature
Me donnera sans femme
Une progéniture.
Ne faites pas qu’en vain
Il croque le marmot
Il reviendra ce soir
Et vous prendra au mot.
Il reviendra ce soir
Et vous prendra au mot.
Le Gendarme entre dans le café.
Comme est ignare le gendarme
Qui gouverne le Zanzibar.
Le music-hall et le grand bar
Le music-hall et le grand bar.
N’ont ils pas pour lui plus de charmes.
N’ont ils pas pour lui plus de charmes.
Que repeupler le Zanzibar ?
Que repeupler le Zanzibar ?
Le music-hall et le grand bar...
N’ont-ils pas pour lui plus de charmes...
N’ont-ils pas pour lui plus de charmes...
Que repeupler le Zanzibar ?
Lacouf et Presto entrent en scène très rapidement, en roulant sur des patinettes, venant de gauche et de droite (premier plan.
Comment faut-il que tu les nommes.
Lacouf et Presto chatouillent le Mari. Le Gendarme sort du café un verre à la main.
Et cependant ne sont pas hommes
Et cependant ne sont pas hommes.
Lacouf et Presto rangent leurs patinettes le long du bazar.
Revenez donc ce soir
Voir comment la nature
Me donnera sans femme
Une progéniture.
Comment faut-il que tu les nommes...
Ah ah ah...
Elles sont tout ce que nous sommes...
Ah ah ah...
Et cependant ne sont pas hommes...
Ah ah ah...
Et cependant ne sont pas hommes...
Revenez donc ce soir
Voir comment la nature
Me donnera sans femme
Une progéniture.
Les huit hommes tendent des pipes aux femmes. Pendant ce temps, le Mari danse seul.
Moi je vous jouerai du pipeau.
Et cependant la boulangère
Et cependant la boulangère...
Les femmes fument la pipe.
Tous les sept ans changeait de peau
Tous les sept ans changeait de peau.
Le Mari cesse de danser.
Et fumez la pipe bergère...
Moi, je vous jouerai du pipeau.
Et cependant la boulangère
Tous les sept ans changeait de peau.
Tous les sept ans, elle exagère...
Le Peuple de Zanzibar se regroupe comme au début du final.
Tous les sept ans, elle exagère.
Vous qui pleurez, vous qui pleurez
Vous qui pleurez...
D’un geste brusque, des deux mains, le Mari les interrompt. Tous se groupent sur deux rangs. Au premier, la Marchande, Lacouf, Presto, le Gendarme, au second le Peuple. Dos au public, le Mari fait le chef d’orchestre.
Et cependant...
Elle exagère...
Et cependant...
Tous les sept ans...
Un rideau spécial descend et s’arrête brusquement à mi-corps des chanteurs dont on ne voit plus que les jambes.
Et cependant la boulangère
Et cependant la boulangère
Et cependant la boulangère...
Tous les sept ans changeait de peau.
Tous s’accroupissent pour donner la dernière réplique, à l’exception du Mari, dont on n’aperçoit toujours que les jambes.
Tous les sept ans elle exagère.